Distribution postale : Les mauvais comptes de la Cour

Le rapport annuel de la Cour des comptes est toujours attendu avec délectation pour les uns, inquiétude pour les autres. Ce qui incline à penser que les « sages de la rue CAMBON » incarnent de moins en moins la neutralité et la sérénité censées les caractériser.

balanceCette vénérable institution aime à se référer à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Mais il y a loin entre l’examen de la véracité et de la sincérité d’une gestion et l’évaluation de son opportunité ; laquelle relève, en démocratie, des représentants élus par le peuple et de ceux auxquels a été déléguée une part d’exercice de la puissance publique. D’autant que la critique de la pertinence d’un choix conduit, par une pente naturelle de la pensée, à proposer des options de remplacement qui touchent aux fins et non aux moyens. Ce qui conduit des « experts », juges ou technocrates, à s’ingérer dans la sphère politique où ils n’ont théoriquement pas droit de cité. Rappelons aussi à ces gardiens du temple, que leur juridiction fut créée par Napoléon 1er en 1807, au même titre que la Caisse des Dépôts naquit en 1816 sous la Restauration. Autrement dit dans une ambiance modérément républicaine.
Ceci posé, il est vrai qu’au fil du temps la dépense publique est sortie du cadre étroit de l’Administration et de la sphère dite régalienne pour se répandre en participations multiformes et autres subventions tous azimuts.
Le champ d’intervention de la Cour des comptes s’est donc mécaniquement élargi, ce qui lui permet de se saisir, au gré de son inspiration, d’une infinité de sujets. Dans la mesure où s’y trouve impliqué un seul centime de deniers publics.
Du coup, chaque rapport annuel ressemble à un inventaire à la Prévert. C’est ainsi qu’en 2016 cohabitent « La filière de la pêche à Saint-Pierre et Miquelon : un avenir incertain »; « Les liaisons vers les principales îles du Ponant »; « L’Institut français du cheval et de l’équitation : une réforme à conduire, une extinction à programmer » (l’excès de pouvoir chronique de la Cour des comptes se vérifie dans la deuxième partie de la phrase…) ; « le parc végétal de Terra Botanica »…
Noyé dans ce caravansérail on rencontre aussi « Les facteurs face au défi de la baisse du courrier : des mutations à accélérer ». Tel un adjudant-chef effectuant sa revue de casernement, la Cour ne se contente pas de constater, elle donne un ordre. Les intéressés sont prévenus, il va falloir se bouger ! Quant à savoir si les magistrats se sont auto-saisis, furent sollicités de près ou de loin, on l’ignore. Serait-ce le règne du bon vouloir ?
Passons maintenant au crible les thèmes clés abordés par la Cour ainsi que ses préconisations.

  • Le vrai problème du courrier ce n’est pas la concurrence d’internet, c’est le conservatisme des facteurs !

partielTelle est la thèse implicite qui court tout au long du rapport, son épine dorsale. Le propos commence par un éloge de convenance : « les facteurs exercent le métier le plus emblématique de La Poste ». Ils sont 73000 et arpentent le pays 6 jours sur 7. Ils forment « un maillon essentiel d’une activité vitale pour La Poste ». L’ennui, c’est que cette vitalité décline chaque jour avec la baisse des volumes. Le manque à gagner, estimé à 500 millions par an, ne peut être compensé, la Cour en est convaincue, par une hausse sans fin du prix du timbre : on se doute que ces majorations, franchi un certain seuil, feraient fuir encore plus vite les clients.
Conclusion : « le réseau de distribution du courrier doit maîtriser ses effectifs et ses coûts pour améliorer sa productivité, maintenir un service de qualité et se trouver de nouvelles sources de revenus – sans qu’il soit assuré que ces actions suffiront à compenser la perte du chiffre d’affaires lié au courrier ». En lisant ces lignes, on a peine à croire que la Cour des comptes parierait sur l’avenir de La Poste ! Elle laisse entendre que les progrès techniques liés au traitement du courrier ayant trouvé leurs limites, il revient aux seuls factrices et facteurs de « poursuivre et même intensifier les efforts déjà réalisés ». Or les facteurs exercent « une profession aux traditions fortement ancrées ». Dans le style feutré des magistrats cela signifie : les facteurs sont accrochés à des privilèges et des comportements archaïques dépassés. En réalité la Cour laisse entendre, épousant la pensée facile du « bougisme », que l’exercice d’une profession aux traditions fortement ancrées serait un frein au changement. Alors que tous les exemples démontrent que ce sont les pays et institutions fortement enracinées qui maîtrisent le mieux le progrès !
La Cour des comptes serait-elle prête à s’appliquer à elle-même, ce renoncement à ses propres « particularités et traditions » alors qu’elle prône leur éradication chez les facteurs ? Toujours est-il, rappelons-le à la Cour, qu’une compétence liée à l’expérience et soutenue par des valeurs est nécessaire pour « assurer quotidiennement la distribution du courrier dans 37,8 millions de boîtes aux lettres au cours de 56000 tournées. Ils distribuent également 70 % des colis et, en milieu rural, la plus grosse partie de la presse, ainsi qu’un important volume de la publicité non-adressée, activités qu’ils partagent avec les agents de Coliposte et ceux de Médiapost et ses filiales ». La Cour semble s’étonner de l’ampleur de la tâche des facteurs alors qu’elle veut « révolutionner » ces conservateurs impénitents !
Il est vrai, aussi, qu’à force de parler des problèmes du courrier, on oublie les colis. L’évocation des 3/4 des colis distribués par les facteurs reste allusive. Qu’advient-il du quart restant ? Le Groupe La Poste, riche et généreux, a réussi l’exploit de créer, sur le territoire, deux corps de facteurs en son sein, les postiers « classiques » (lettres et colis domestiques non-express) et les salariés de Géopost chargés de distribuer le courrier express comme Chronopost par exemple. Ces facteurs de deuxième type relèvent de la filiale Géopost (100 % Groupe La Poste) qui s’appelle DPD France depuis 2015 (bannière empruntée à une filiale allemande), ceci pour bien marquer la différence. Comble du ridicule et de la « dépense de chapelle », les postiers de DPD France portent des combinaisons pourvues du logo DPD et conduisent des camions blancs guère assimilables, par le profane, aux fameux véhicules jaunes de La Poste. Au cas où la confusion avec cette dernière (pourtant propriétaire) serait possible et susceptible de ternir la belle image de DPD. Image dont la notoriété reste confidentielle parmi les Français.
Quoi qu’il en soit, si on veut parler de la productivité de la distribution, alors il faut tout évoquer, y compris la mutualisation entre directions et filiales sur le territoire national. Il s’agit aussi de mettre de la cohérence dans l’organisation et dans l’image que l’on veut donner de La Poste aux clients. Plus personne ne sait ce qu’il a à faire…
Ajoutons que si les rédacteurs de la Cour des comptes ont choisi de se focaliser sur les facteurs, la problématique du courrier englobe, en amont et en aval, celle du traitement mécanique et logistique des envois. CQC et le tri sont abordés dans le texte, mais sans un mot pour les agents des centres de tri. Cet oubli n’est pas forcément bon pour eux. Il n’est, en tout cas, guère respectueux.

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