édito

Soyons maîtres de notre pensée

Nous n’avons jamais eu autant de moyens de communiquer. Avec de plus en plus de médias à notre disposition, nous avons accès à l’information dans des délais de plus en plus courts, très souvent en temps réel. La « grand-messe du 20h » ou la matinale d’une radio sont, aujourd’hui, détrônées par les chaînes d’information en continu, internet, les réseaux sociaux. Mais, paradoxalement, nous sommes de plus en plus « désinformés ». Le « tout-le-temps-trop-vite » pose la question de la vérification des faits, oublie la nuance du propos, ignore l’approfondissement de la complexité du sujet, obérant ainsi notre capacité de réflexion. Il devient difficile, dans ces conditions, de prendre le temps de penser par soi-même, de se faire sa propre opinion, en toute liberté. La surinformation - nous parlons aujourd’hui « d’infobésité » - nous procure parfois un sentiment de saturation qui va jusqu’à nous pousser à se couper des affaires du monde. Enfin, comment ne pas devenir méfiant face à la multiplicité des « fake news », devenues véritables armes de guerre. Ce phénomène n’est pas nouveau. Au 1er siècle, les Romains (ce n’étaient pas les premiers) s’en servaient pour leur propagande. Comme en témoignent de nombreux exemples regrettables, la situation ne s’est pas améliorée au fil des siècles. De nos jours cependant, les nouvelles technologies, en particulier le développement de l'intelligence artificielle, accroissent la nocivité du problème.

Les citoyens font face à un débat démocratique tronqué et les militants syndicalistes que nous sommes doivent, pour défendre leurs positions et revendications, redoubler d’efforts, multiplier les explications, faire, en permanence, preuve de pédagogie. En effet, pour FO, le manichéisme n’est pas de mise, le monde n’est pas tout noir ni tout blanc : la réflexion, la nuance et le raisonnement sont indispensables pour élaborer des revendications pertinentes, dans l’intérêt réel des travailleurs.

Les discussions sur l’avenir de notre système de protection sociale en sont un exemple emblématique. Loi de finances, gouvernance, cotisations, salaire différé, paritarisme… comment peut-on se saisir du sujet dans un tel méli-mélo d’informations, parfois très techniques, sur fonds de valse de milliards ? Depuis maintenant des décennies on nous parle de déficit, le fameux « trou de la sécu », en omettant de citer les exonérations de cotisations ; on évoque les dépenses alors que c’est un problème de recettes ! On invoque l’urgence de revoir la gouvernance alors que cela fait 80 ans que le système a prouvé son efficacité. On recule l’âge de départ à la retraite en avançant le rapport déséquilibré actifs/retraités mais on oublie soigneusement de préciser que nous sommes quatre fois plus productifs que dans les années 60. Et, pour éviter une augmentation de cotisations dont les patrons ne veulent pas entendre parler, on nous oppose le coût du travail, au demeurant pas aussi élevé par rapport à nos voisins qu’on essaie de le faire croire. N’oublions pas la TVA sociale dont on nous rebat les oreilles mais sans garantir qu’elle servira bien à la protection sociale ! Tout cela en voulant nous persuader « qu’on ne peut pas faire autrement  », que nous devons « être raisonnable ».

Nous refusons cette forme de « raison » qui cautionnerait le fait que, depuis le début des années 50, on veut abattre le système de protection sociale basé sur le salaire différé donc sur la solidarité. Pour ce faire, tout est permis : contre-vérités, mensonges, démagogie, omissions...

Notre rôle de syndicaliste est fondamental. Dans tous les domaines, vérifier pour être bien informés, se faire sa propre opinion et ainsi rester libre.

À l’heure où tous les moyens d’information, relais des pouvoirs, concourent à vouloir nous inculquer une « pensée unique », nous faisons nôtre l’invitation d’Emmanuel Kant, philosophe du « siècle des Lumières » : Sapere aude (ose savoir).

Christine BESSEYRE