Sans Frontières

L’ Europe face à l’inflation

Confrontés à l’augmentation des prix de l’alimentation et de l’énergie, les gouvernements européens prennent des mesures d’urgence.
Le taux d’inflation dans la zone euro était de 5 % en décembre, avec d’importantes disparités régionales. L’Europe de l’Est est particulièrement frappée par la hausse de la facture alimentaire. En décembre en Lituanie, l’inflation, poussée par une hausse choc des tarifs de l’énergie, a atteint 10,7 % (12,2 % en janvier) – c’est le deuxième taux le plus élevé d’Europe.

Déjà, les autorités politiques déploient des mesures pour atténuer les effets sur les consommateurs. En Italie, où le gaz domine le mix énergétique, l’État a débloqué 3,8 milliards d’euros pour lutter contre l’augmentation de la facture liée à l’énergie (auxquels a été ajoutée, le 21 janvier, une nouvelle enveloppe de 1,7 milliard d’euros).
La France, qui, avec l’Espagne demande une réforme profonde du marché de l’électricité en Europe, a promis de limiter à 4 % la hausse de la facture d’électricité des Français en 2022. En Bulgarie aussi, l’État a gelé les tarifs de l’électricité et du chauffage jusqu’à fin mars.

Le gouvernement hongrois, de son côté, a annoncé que le prix des produits alimentaires essentiels serait ramené à son niveau d’octobre. La Serbie et la Macédoine du Nord ont déjà plafonné certains aliments de base, comme le pain, le sucre et l’huile de tournesol.
La Pologne, la Roumanie et la République Tchèque planchent sur une baisse de la TVA sur l’électricité et le gaz. Fin 2021, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a annoncé toute une série d’autres mesures pour aider la population à faire face à la hausse des prix de l’alimentation, notamment des aides de 400 à 1 437 zlotys (87 à 314 euros) qui seront versées cette année aux familles défavorisées, en fonction des revenus et de la taille du foyer.

Emploi au Maroc – La difficile mission de l’inclusion

Depuis plusieurs années, l’aggravation du chômage au Maroc vire à la catastrophe, accentuée par la pandémie et ajoutée à des conditions climatiques alarmantes liées au déficit de pluie. Avec un million de chômeurs supplémentaire enregistré à chaque décennie, il y a près de 3,7 millions de jeunes chômeurs au Maroc. L’enseignement supérieur, considéré comme un pilier stratégique au développement économique du pays, est devenu une oasis en plein désert. La formation des jeunes pour leur frayer une voie vers la vie active dans un marché de plus en plus compétitif et aux conditions incertaines peine à trouver sa bonne équation, puisque 19,6 % des diplômés sont actuellement au chômage, contre 4,6 % pour les jeunes sans aucun diplôme. Ce qui ne manque pas d’interpeller les institutions marocaines quant à l’efficacité des réformes du système éducatif du pays.

Un rapport effectué par l’HCP (Haut Commissariat au Plan) confirme cette tendance et expose la surreprésentation de deux groupes de chômeurs : les jeunes et les femmes. L’insertion des femmes dans la population active stagne malgré la croissance du PIB du pays.
Omar Kettani, économiste et professeur à l’Université Mohamed V de Rabat affirme qu’une meilleure politique d’éducation inclusive est la seule option qui permettra d’inverser ce phénomène. Atteignant 16,8% en 2021, le chômage des femmes continue d’assombrir le tableau du marché du travail. L’importante représentation de la population en zone rurale (40 % de la population active dont 8 millions de femmes) est un élément à prendre en compte pour établir un véritable plan d’action.

L’analyse du HCP préconise de créer plus d’emplois de meilleure qualité dans les secteurs à forte productivité, de favoriser l’industrialisation et de stimuler les services formels à forte valeur ajoutée. En somme, des mesures fortes et urgentes pour répondre à cette crise du chômage et des inégalités.

Espagne – Les sables mouvants de la précarité salariale

Le pouvoir en place en Espagne avec sa majorité absolue a adopté une des « loi travail » les plus libérales en Europe. Le texte en vigueur est très favorable aux entreprises et offre une grande flexibilité en matière de licenciements. Les points générant des désaccords sont la possibilité de licenciement suite à un arrêt maladie; la priorité actuelle de la convention d’entreprise sur la convention collective; la possibilité pour une entreprise de modifier de façon unilatérale le contrat de travail après signature des deux parties et davantage de flexibilité pour recourir aux intérimaires.
Alors que des entreprises espagnoles s’essaient à la semaine de quatre jours, avec une réduction du temps de travail allant jusqu’à 32h/semaine accompagnée d’une baisse de salaires, les principaux syndicats espagnols (UGT et Unai Sordo) contestent la baisse de pouvoir d’achat dont les espagnols vont devoir se satisfaire.
Car même si l’expérimentation pourrait trouver son sens dans une nouvelle économie où la révolution technologique permet de produire un bien ou un service en moins de temps qu’auparavant, la baisse de salaire plongera un peu plus les espagnols dans l’austérité.

Cet essai serait-il une façon déguisée de rendre corvéable à merci les travailleurs espagnols durement touchés par la crise ? Une chose est sûre, les espagnols devraient subir une transformation importante du « travail » dans laquelle bas salaires rime avec contrats précaires.

Nouvelle étape dans la dégradation du service postal américain

us-officeLe plan stratégique décennal nommé « Delivering for America » est entré en vigueur le 1er octobre 2021. Rédigé par le ministre des Postes Louis DeJoy, il n’est rien de moins qu’un business plan destiné à entraver et discréditer l’USPS (United States Postal Service), ouvrant ainsi la voie à sa privatisation.

Le plan « détruira le service postal en temps opportun dont les gens dépendent pour les médicaments, le paiement des factures et les opérations commerciales dans les régions rurales de l’État », a déclaré le procureur général de Caroline du Nord, Josh Stein.
La première étape consiste à allonger le délai maximum de livraison du courrier de première classe de 3 à 5 jours. Cette mesure, ostensiblement mise en place pour réduire les coûts, sera accomplie en éliminant US Air Mail et en acheminant le courrier uniquement par camion. La disparition de la US Air Mail, créée en 1918, replacera les délais de livraison comme ils étaient il y a un siècle. Cette stratégie prévoit également la réduction des heures d’ouverture des bureaux de poste. De plus, le plan augmentera les prix pour le public.

Côté conditions d’emploi, un accord signé en 2010 a gelé les salaires pendant les deux premières années et a prévu des augmentations qui ont à peine suivi le rythme de l’inflation les années restantes. Il ne contenait aucune augmentation du coût de la vie pendant les deux premières années et les reportait au cours des troisième et quatrième années. De plus, l’accord a créé un deuxième niveau de travailleurs qui sont payés environ 10 % de moins que leurs collègues.
Il a également élargi la main-d’œuvre temporaire de l’USPS, qui bénéficie encore moins d’avantages que les employés à part entière.

Ce modèle ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?

Alors que les négociations se poursuivent, les États-Unis sont témoins de la plus grande vague de grèves depuis des décennies. Une partie de la population des États-Unis est surprise de voir que le service postal est tout à coup devenu un champ de bataille. Les travailleurs et travailleuses des postes savent cependant que leur travail se retrouve souvent au carrefour de la démocratie, de la sphère publique et de l’économie.

Le projet de règlement sur l’ Intelligence Artificielle décrypté

Une esquisse en 2020

Devant l’omniprésence de l’ Intelligence Artificielle, les députés européens se sont saisis du sujet en février 2020 pour garantir une utilisation équitable et sûre pour les consommateurs. La résolution adoptée en plénière aborde plusieurs défis découlant du développement rapide des technologies de l’Intelligence Artificielle (IA) et de la prise de décision automatisée (ADM). Les trois axes majeurs de cette réglementation sont la mise à jour des règles de sécurité et de responsabilité de l’UE au vu des produits reposant sur l’IA, l’utilisation d’algorithmes non biaisés, la mise en place de structures de contrôle et la garantie que l’humain reste au final le maître de la situation.

La crise sanitaire en 2020 a fortement accru le recours à l’Intelligence Artificielle sous toutes ses formes : dans le e-commerce, dans le recrutement, dans la surveillance des citoyens et des salariés, dans les chaînes d’approvisionnement, les centres d’appel, etc. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte politique mondial dans lequel de plus en plus de pays investissent massivement dans l’IA. L’Union Européenne a décidé d’agir d’une seule manière pour relever les défis de l’IA.

La voix de « Why Not Lab »

Depuis des années, FO Com travaille sur le numérique, du droit à la déconnexion à l’impact du numérique en intégrant l’équilibre vie privée/vie professionnelle et en réfléchissant au nouveau monde du travail. Dans ses activités au sein de l’UNI, FO Com a rencontré Christina J. Colclough, experte de l’avenir du travail et de la politique de la technologie numérique, défendant au niveau mondial l’importance de la voix des travailleurs. Aujourd’hui, fondatrice de Why Not Lab, elle a ainsi interpellé les membres de la Commission européenne : « avec les millions de points de données extraits quotidiennement des travailleurs, transformant leurs actions et non-actions en « vérités » définies mathématiquement ou en probabilités calculées statistiquement, nous devons nous demander si nous trahissons l’histoire ».

Elle a posé également une question essentielle : « alors que les systèmes numériques peuvent être efficaces et productifs, nous devons nous demander efficace pour quoi ? productif pour quoi ? ». Efficacité et productivité ne signifient pas nécessairement « bon », « juste » ou même « légal ».

Elle a confirmé le changement de l’équilibre des pouvoirs sur les lieux de travail : qui décide vraiment et à quelle échelle ? Elle a souligné la responsabilité des développeurs qui doivent connaître l’impact sur les travailleurs mais également celle des employeurs. Lors de son audition, elle a revendiqué un renforcement du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), une meilleure réglementation en matière d’accès et de contrôle des données, un contrôle de ces systèmes algorithmiques en mettant en valeur le rôle du dialogue social, un engagement des employeurs à investir dans les compétences et les parcours professionnels des travailleurs concernés en amont et en aval des chaînes d’approvisionnement.

Pour terminer, elle a rappelé qu’« il est de la responsabilité de la Commission européenne de renverser de toute urgence la vapeur et d’empêcher la marchandisation irréversible du travail et des travailleurs ».

Le point de vue de FO Com

Nous avons toujours mis en exergue le dialogue social et la négociation collective. C’est également notre position vis-à-vis du règlement européen sur l’IA. Utiliser l’IA dans le cadre de l’emploi est une activité classée à haut risque, la biométrie et la surveillance des travailleurs ne devraient pas être autorisées. Le contrôle par l’humain, la transparence et l’amélioration des compétences des travailleurs sont incontournables si nous souhaitons une IA « digne de confiance ».

Participation des syndicats, dialogue social et négociation collective

FO Com revendique le renforcement des conventions collectives qui restent un moyen souple de garantir les conditions de travail. Un cadre européen doit contribuer à cette protection mais ne peut primer sur les lois nationales. Ces dernières offrent davantage de garanties comme la loi espagnole sur la transparence algorithmique ou le modèle allemand de codécision. Quand la Commission stipule que « la participation des parties prenantes à la conception et au développement de l’IA et des équipes diverses doit être encouragée » (article 69), cela n’est pas clair. L’implication des syndicats doit être effective (CHSCT ou CNSST, CSE, CT, etc.) et information, consultation et participation sont tenues de faire partie des obligations de conformité. De même, la proposition de la Commission européenne ne couvre que la gouvernance de la mise en œuvre du règlement (article 56-59). Ce dernier ne mentionne que « experts et observateurs internes » (article 57.4) et non les syndicats !

Applications de l’IA dans le cadre de l’emploi, surveillance des travailleurs et droits des données

La Commission européenne occulte tous les emplois à faibles compétences générés par l’IA avec pour exemple les emplois aux tâches répétitives comme l’étiquetage ou la modération des données nécessaires aux systèmes d’IA. FO Com revendique un regard sur l’impact négatif de ces nouveaux emplois générés par l’IA.

De même, la liste des applications couvertes (annexe 3.4) se limite aux systèmes utilisés pour la gestion algorithmique notamment dans le domaine RH, de la prise de décisions à la répartition des tâches mais les autres applications pourraient bien avoir des conséquences pour les salariés ! Compte tenu des risques pour la santé et la sécurité, FO Com exige l’application du principe de précaution et tout système d’IA devrait faire l’objet d’une étude d’impact par des autorités compétentes avec un regard des syndicats.

Aujourd’hui, l’identification biométrique et la surveillance des travailleurs se mettent en place pour différentes raisons, de manière trop souvent disproportionnée par rapport aux besoins et affectant le travailleur.

Investir dans le capital humain et introduire une éthique

Un ingénieur ou un développeur de système d’IA ne peut être seul incriminé en raison de décisions erronées. La responsabilité doit être répartie sur l’ensemble du processus et des parties prenantes. Le choix de mise en place de système d’IA doit être transparent et l’aspect formation ne doit pas être négligé. FO Com désapprouve ce projet de cadre réglementaire car il ne prévoit ni le droit à contester une décision algorithmique ou d’obtenir un « regard » humain, ni un droit de recours. La transparence est nécessaire et bien au-delà de celle prescrite par le règlement européen. Ce dernier ne prévoit de clarté que pour soutenir les « utilisateurs » (rec. 47, art. 13). Les employeurs sont responsables du niveau d’information donné aux travailleurs sur les systèmes d’IA sur le lieu de travail, l’impact sur leurs données, l’organisation du travail, etc. C’est là que le dialogue social trouve tout son sens.

Enfin, la formation sur les systèmes d’IA est essentielle pour fournir aux salariés les compétences nécessaires. Elle permet à chacun d’appréhender l’impact sur les conditions de travail, la santé et la sécurité. La négociation collective a bien ici un rôle à jouer. L’éthique est également une valeur à introduire dans le cursus de formation, en ne se limitant pas à une formation technique mais en tenant compte d’une diversité d’aptitudes et de compétences (et ne pas s’en tenir aux STIM – Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques).

Des exemples d’impacts de l’IA

Gestion algorithmique

Un outil de gestion des absences au Royaume-Uni a déclenché des procédures de contrôle sans tenir compte de la légitimité des absences allant même jusqu’à remettre en question l’aptitude de salariés.
Dans le recrutement, un outil « hireview » analyse les expressions faciales, le ton de la voix et l’accent… Un autre outil comme « fama » examine le flux de médias sociaux d’un employé et signale selon un comportement « potentiellement problématique ».

Surveillance et contrôle

Dans les centres d’appel, des programmes tels que Cogito ou Voci utilisent l’IA d’analyse vocale pour fournir un retour immédiat aux salariés, leur indiquant s’ils parlent trop vite, semblent fatigués ou pas suffisamment empathiques. Les enregistrements audios mémorisent ainsi les émotions des salariés ce qui permet aux algorithmes de vérifier que les travailleurs respectent les scripts. Les mêmes enregistrements sont retranscrits et conservés trois mois. Les syndicats n’y ont pas accès, ne pouvant ainsi vérifier la nature des données mémorisées.

Chez Teleperformance, sous couvert de la pandémie, l’entreprise a augmenté la surveillance du personnel. Les salariés ont reçu des caméras pour être sous surveillance permanente pendant qu’ils travaillent à domicile. Cela permet de voir des personnes non autorisées qui pourraient voir l’écran de travail et de vérifier dans l’espace de travail la présence de papier ou de téléphone portable.

Chez Amazon, l’entreprise a mis en place des scanners assignant des tâches aux salariés tout en surveillant leurs déplacements dans l’entrepôt, des lunettes de réalité virtuelle qui montrent aux employés où placer les objets.